Oui, j’ai rien écrit ici, car j’écrivais autre chose. J’espère m’y remettre bientôt.
Tout ce temps, j’ai travaillé à Brutusses Brutus, un roman vient de paraître aux éditions de l’Ogre. Il avance dans le monde des livres, saturé à l’excès.
Je m’étais donné comme tâche de construire une narration capable de restituer ce qui se passe autour de nous, et qui me submerge, que l’écriture s’adapte aux échos qui nous parviennent du monde : il n’y a pas de grand destin, ni de leçon universelle, juste des trajectoires qui se croisent, des corps fatigués, de l’entraide et de précieuses joies.
C’est ce que font les Brutusses & Brutus. C’est le nom que porte beaucoup de personnages du livre. Je me sens être de ces idiotes et idiots. Pour moi, ce nom dit quelque chose d’une façon d’appréhender le réel sans tricher.
L’histoire, l’écrasante, la massive, n’est peut-être qu’un long cortège qui avance, venu du fond des âges jusqu’à aujourd’hui, pour trouver un abri, peut-être réclamer justice, dans tous les cas, rendre le monde juste.
Juste en-dessous, vous trouverez quelques extraits du livre (Brutusses Brutus), mais pour finir, j’aimerais ajouter quelques mots à ceux du docteur Zouhair Lahna revenant de Gaza1. Il dit qu’on y assiste à un enterrement des droits de l’homme. C’est terrible. Plus terrible encore, c’est vrai dans beaucoup de parties du monde. Pour autant, toutes les histoires étouffées ne pourront pas être enterrées. Non. Ils ne pourront pas enterrer toutes ces histoires-là.
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« C’est un de ses films préférés. Il raconte qu’il y a un passage où les vagues de l’océan Pacifique sont comme d’énormes poissons. Ils essayent d’engloutir la montagne sur laquelle est perchée la maison de Sôsuké, le héros du film. Un peu plus tard, tous les bateaux ont fait naufrage. Ils remplissent l’horizon, empilés les uns sur les autres à cause du courant. Ces jours-ci, la couleur du ciel est la même que dans cette suite de scènes.
La météo annonce que d’ici deux jours le climat va s’aggraver. Encore un peu plus. On va passer de la couleur orange à la couleur rouge. »
« Des pylônes électriques quadrillent le terrain. Autour, une suite de maisons individuelles se détache d’un paysage plutôt quelconque. Old Lidl, c’est une centaine de tentes plantées le long de chemins communaux en gravier et dans une forêt minuscule. Les tentes, qui se ressemblent toutes, sont recouvertes de bâches bleues. »
« Quand il entre, Brutusse-Abarr ne signale pas sa présence. Elle l’observe. Il boit l’eau à même le robinet. Elle coule sur son menton et glisse à l’intérieur de son tee-shirt. Il touche du bout des doigts tout ce qui se trouve dans la cuisine, comme si ce n’était pas réel. Il a l’air perdu. Brutusse-Abarr se lève, il sursaute. Elle lui demande s’il veut manger. Ses yeux sont grands ouverts. Elle répète le verbe manger. Soit ça ne lui évoque rien, soit le nouveau mot doit se frayer un chemin compliqué jusqu’à son esprit pour avoir un sens quelconque, alors elle fait un signe, sa main vers sa bouche ouverte, pour imiter l’action de manger. Brutus-Bessam hoche la tête. Un oui fragile sort de sa bouche. Bien sûr qu’il comprend. Elle lui sort tout ce qui traîne. Elle montre la casserole de lait. Elle allume le gaz. Elle demande s’il en veut. Il répète oui. »
« Hier, demain, en noir et blanc, en haute définition, on voit ce qu’il y a derrière la guérite en béton, les armes en bandoulière et les chaînes qui s’entortillent de part et d’autre de la route. Toujours les mêmes images. Ce ne sont pas des images. Elle tend une petite carte sur laquelle on devine son visage, un visage plus jeune que celui d’aujourd’hui. Son portrait, son nom, son prénom, sa taille, la couleur de ses yeux, collés sous le plastique. »
La Nabka continue, Bande de Gaza, 2024, photographie de Mohammed Salem.
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Brutusses Brutus, écrit par Maxime Actis
Le 17 mai 2024
Publié aux éditions de l’Ogre (n°56)
20 euros
ISBN 978-2-37756-204-6
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Tu vas l’acheter ou le voler ?
- Deuxième partie de cette vidéo de Paroles d’Honneur – https://www.youtube.com/watch?v=P5_Rih4DG4U ↩︎
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